Laurence Trochu. Photo © JOEL SAGET / AFP

Présidente du Mouvement Conservateur, parti associé aux Républicains, Laurence Trochu met en garde ceux qui, comme Renaud Muselier, voudraient nouer des alliances avec La République en Marche à l’approche des élections régionales et départementales. Entretien.

Valeurs actuelles. Comprenez-vous l’émoi suscité par la tribune de vingt généraux appelant Emmanuel Macron et la classe politique dans son ensemble à défendre le patriotisme et souscrivez-vous à leur alarmisme ?

Laurence Trochu. Souvenons-nous de 2018 ! Gérard Collomb en quittant le ministère de l’Intérieur n’a rien dit d’autre que ce qui est développé aujourd’hui dans la tribune des vingt généraux : « Aujourd’hui, on vit côte à côte. Je crains que demain on vive face à face. » Ce dramatique constat est partagé par tous ceux qui ouvrent les yeux sur la liquidation de la nation française. Quarante années de gauchisme politique ont rendu tabou tout lien d’enracinement et de rapport charnel des Français avec leur pays, son histoire, ses traditions, et ce qui le caractérise. Parler des valeurs de la République, de ses principes, de la laïcité, sont finalement autant de moyens de tourner autour du pot pour ne pas avoir à parler de ce qui est réellement essentiel : que ce n’est pas la République qui est attaquée, mais la France en tant qu’espace civilisationnel.

Marine Le Pen a appelé les signataires de cet appel à la rejoindre dans la bataille pour la France. Comment expliquez-vous le silence embarrassé de la droite ?
Marine Le Pen fait la preuve de son incapacité à diriger l’Etat : un chef de parti ne peut pas, ne doit pas, demander à des militaires de s’engager dans un combat politique, encore moins partisan. Mais Marine Le Pen ne prospère que parce que la nature a horreur du vide. Si elle occupe l’espace politique grâce aux sujets portant sur l’immigration, l’identité française, la souveraineté, c’est parce qu’une partie de la droite a longtemps déserté ce champ. Or, la réalité ne ment pas : les sociétés multiculturelles ne sont jamais sereines ni apaisées, et les différentes communautés, centrées sur leurs intérêts divergents, toujours en conflit.

Face aux choix civilisationnels auxquels nous devons faire face, comment le Mouvement Conservateur que vous dirigez appréhende-t-il les prochaines échéances électorales ?
Nous alertons sans cesse sur la décomposition doctrinale d’une droite contrainte au grand écart par son obsession du rassemblement sur la base du consensus le plus large, autrement dit du plus petit dénominateur commun. Je vois deux raisons à ce délitement.

La première est d’ordre structurel et tient à la création de l’UMP qui a rendu les élus de droite plus centristes que leur électorat. Créer un appareil pour prendre le pouvoir n’assure pas la viabilité de la structure qui permet de le garder. C’est aussi pour cela qu’ont fleuri au sein de LR des chapelles, chacune défendant une sensibilité plutôt qu’une autre.

La seconde est conjoncturelle : habituée au traditionnel clivage gauche/droite, la droite a été bousculée en 2017 par Emmanuel Macron qui a redessiné le champ politique autour d’un nouvel axe progressiste/populiste grâce auquel il a choisi et installé son adversaire. Mais d’un point de vue conceptuel, cette opposition ne tient pas la route. Le progressisme est une manière de regarder le monde en considérant que tout changement est forcément synonyme de progrès, que demain sera nécessairement mieux qu’hier. Le populisme est une manière de gouverner en usant de la démagogie. A ce titre, il y a des populismes de droite et des populismes de gauche. Le vrai clivage se situe en fait entre progressisme et conservatisme.

La question centrale qui est posée à la droite est celle de savoir si elle a avec le progressisme d’En Marche une différence de degré ou une différence de nature. Ceux qui rejoignent le parti présidentiel s’inscrivent dans une différence de degré et n’apportent que des nuances à la politique menée par le Président. Les autres, dont nous sommes, rejettent avec force la ligne post-nationale, transhumaniste et multiculturaliste d’Emmanuel Macron. Le Mouvement Conservateur a fait, sur la base de cette distinction fondamentale pour la droite mais surtout pour la France, un travail de définition des priorités. Il prend forme dans Le Manifeste du Conservatisme très bien accueilli par de nombreux élus et la base militante.

Comment résumeriez l’enjeu de ces élections régionales et départementales ?
On entend beaucoup dire que les résultats des élections régionales conditionneront le choix du candidat de la droite en vue de la présidentielle. Pour ma part, je porte une attention particulière à la constitution des listes, car elle éclaire les choix des têtes de liste dont on sait que certains aspirent à l’élection présidentielle. Les forces en présence dans ces équipes seront un très bon indicateur de ce que devient la droite et cela préfigurera ses choix en vue de la présidentielle. Dis-moi qui sont tes amis, je te dirai qui tu es !

Les Français réclament de la cohérence. On ne peut pas déplorer le désintérêt des Français pour l’engagement politique, pleurer sur l’abstention, critiquer les orientations du gouvernement et en même temps orchestrer des alliances locales avec ses représentants locaux. Ce serait en outre fournir à En Marche l’enracinement local qu’il n’a pas et les grands électeurs à même de faire basculer le Sénat, seul contre-pouvoir.

Renaud Muselier, président LR de la région PACA, serait sur le point de conclure une alliance avec la République en Marche afin de constituer une liste commune en vue des prochaines élections régionales. Est-ce une erreur ?
Ce serait une erreur et une faute. Une erreur de jugement parce que c’est ne pas avoir saisi ce qui sous-tend le projet politique destructeur d’En Marche. Une faute qui engage la responsabilité face aux Français parce que c’est contribuer à la liquidation de la nation en donnant à la majorité présidentielle les points d’appui locaux qu’elle n’a pas. On a vu qu’aux municipales, cette stratégie a échoué. Et certaines victoires, si elles arrivent, sont aussi des défaites.

Que traduit cette stratégie et que signifie cette tentation que l’on retrouve chez nombre de dirigeants de LR ?
J’y vois une peur de perdre des élections. Cette peur, je la comprends, c’est celle de tout élu face à un scrutin ! Mais cette peur ne doit pas en cacher une autre, qui serait grave pour nos institutions : la peur du fonctionnement démocratique dans lequel il y a des gagnants et des perdants dont les victoires et les défaites sont l’expression du peuple. Flouter les frontières entre les partis pour ne pas perdre une élection, c’est soit mentir aux électeurs, soit ne plus savoir soi-même ce en quoi on croit et ce qu’on veut. Pour certains, c’est peut-être même les deux !

Plutôt qu’à des tractations avec la majorité présidentielle, qu’espérez-vous de LR ?
Soyons clairs, l’enjeu, c’est la survie de la France et c’est ce qui doit mobiliser toutes nos forces. Les partis sont les outils à travers lesquels des candidats ont les moyens de bâtir un projet et de le porter. Quand la maison brûle, l’urgence est de définir ce qu’on veut sauver : défense de la souveraineté économique et juridique comme condition de la liberté, refus de la soumission à l’immigration et au multiculturalisme, préservation des équilibres économiques et de la nature, qu’elle soit environnementale ou humaine. Les aspirations de la majorité silencieuse sont là ! LR doit donc avoir le courage de les défendre en assumant une opposition franche et sans compromission.

Existe-t-il une voie, électoralement gagnante et politiquement efficace, pour la droite ?
Ce dont la France a besoin, c’est d’une droite sûre d’elle-même parce que sûre de ses principes et de ses idées, et en premier lieu, de celle qui a toujours été au cœur de sa démarche politique : la défense de la Cité, c’est-à-dire de la nation, dans sa liberté, son autorité, son identité et son existence pour recoudre le tissu déchiré et retisser le sentiment de former une Nation, fondé sur des souvenirs et des affections communs.

A quelles conditions le Mouvement Conservateur que vous dirigez prendra part aux listes conduites par la droite ?
En tant que parti associé à LR, nos candidats ont toute leur place sur les listes régionales et dans les binômes qui se constituent pour les élections départementales. On n’imagine pas la droite française se faire hara-kiri en se privant de son aile conservatrice. D’autant plus que l’élection des jeunes LR a montré la soif de cette nouvelle génération qui assume très bien une différence de nature avec le macronisme et qui n’a pas l’intention de courir après le progressisme. Si certaines têtes de liste méprisent l’électorat conservateur en rejetant les candidats qui les représentent, ils montreront au grand jour, avant la présidentielle, ce qui les inspire.

Est-ce à dire qu’il y a des points non négociables à la participation des Conservateurs aux listes conduites par LR ?
En commission nationale d’investiture (CNI), où je siège, le discours est très clair. Eric Ciotti, qui en est le président, dit avec fermeté « qu’on ne peut s’allier avec un parti EM qui a un bilan épouvantable ». La loyauté du Mouvement Conservateur s’appuie sur cette volonté affichée de LR de ne pas céder aux sirènes macronistes. Le pire qui puisse arriver à LR dans les semaines qui viennent serait un décalage entre ce que demande la CNI et les réalités locales où la grande blanchisseuse se mettrait en route pour recycler les étiquettes politiques en contradiction avec les consignes nationales.

Lire cet article sur le site de Valeurs actuelles : https://www.valeursactuelles.com/politique/on-nimagine-pas-la-droite-francaise-se-faire-hara-kiri-en-se-privant-de-son-aile-conservatrice/