valeurs3« Dire qu’il faut transmettre les valeurs de la République, c’est trop faible : il faut transmettre l’amour de la France » expliquait Jean-Pierre Chevènement au Figaro, quelques semaines après les tueries qui ont embrasé la France au mois de janvier. Un message clair qui s’adresse à tous et qui brise le discours ambiant stigmatisant telle ou telle religion.

De fait, nous restons prisonniers d’une vision désincarnée de la France où l’adhésion à des principes abstraits remplace l’attachement qui nous lie à une terre, une histoire, des hommes et un mode de vie. Les valeurs de la République, pour autant que l’on puisse s’accorder sur leur contenu, ne comporteront jamais un degré d’attraction suffisant pour épouser tous les ressorts de la personnalité humaine. Elles s’adressent à la raison et non au cœur, elles dictent une conduite morale mais n’enracinent pas les personnes dans une histoire faite d’aventures, de défaites et de renaissances. Elles ne proposent, enfin, aucune figure de héros qui puisse constituer un modèle à imiter. Pour importantes qu’elles puissent être, les valeurs de la République ne sauraient remplacer la transmission d’un patrimoine culturel et charnel qui nous constitue dans notre identité et nous rassemble dans un même amour partagé.

C’est pourquoi, l’amour de la France constitue le meilleur rempart contre le multiculturalisme qui gangrène la communauté nationale et contre la déculturation qui touche tous les nationaux. Enraciner les gens dans une histoire, c’est les aider à être pleinement ce qu’ils sont, et leur permettre de prendre conscience d’une identité qui n’existe souvent que dans les replis inconscients d’une mémoire collective. C’est les élever au-dessus de la société de consommation qui ne concerne que les besoins immédiats de l’homme pour s’adresser à leur âme. C’est passer du registre de l’avoir à celui de l’être, de la froideur des rapports économiques à la chaleur de l’amour patriotique. Amour qui génère une véritable « amitié Française » source du partage et de la fraternité qui faisait dire à  Jaurès  « la patrie est -pour le démuni- son seul bien ».

Or, nous vivons une crise de la transmission, dont les causes majeures sont sans doute multiples. D’abord un rapport conflictuel à notre propre histoire auquel s’ajoute une conception erronée de la liberté, voyant dans la transmission d’une culture une violence faite au libre arbitre des individus. Egalement en cause le poids d’une vision conquérante de la laïcité qui ne se restreint pas à séparer religion et politique, ce qui serait parfaitement légitime, mais prohibe en réalité tout héritage religieux à caractère culturel dans l’espace public. S’ajoute à cela le dénigrement des attributs de notre fierté nationale, les difficultés de la maîtrise de notre langue, notre industrie sacrifiée aux fonds étrangers, nos emblèmes sportifs ligotés au nom de puissances étrangères, nos jardins historiques meublés de « vagins géants »… Cette haine de soi, ce reniement de ce qui fait notre identité est destructeur de l’avenir. Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. C’est l’enracinement qui permet l’audace créatrice.

Se réconcilier avec son histoire et réhabiliter la transmission sont donc les clés d’un ré-enchantement des Français. Clés auxquelles il faut ajouter le retour à une conception apaisée de la laïcité qui ne fasse plus obstacle à une affirmation sereine de son identité. L’État détient, à ce titre, un rôle clé dans la mesure où il est le gardien de la mémoire nationale. C’est à lui qu’incombe la tâche d’assurer la cohésion de tous autour d’une même identité partagée et vivifiée. Dans son discours à la Sorbonne en 1882, Ernest Renan affirme qu’« une nation est une âme, un principe spirituel », constitué par « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » ainsi que par « la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis », ce qu’il appelle le « plébiscite de tous les jours ». C’est donc à l’État de vérifier que la nationalité française ne soit ouverte qu’à ceux qui souhaitent faire valoir l’héritage qu’ils ont acquis dans leur pays d’accueil. C’est aussi à l’État de veiller à ce que les nationaux ne soient pas déculturés sous l’effet d’une globalisation culturelle qui standardise et uniformise les réalités, jusqu’à leur faire perdre leur âme : dislocations des centres-villes historiques sous le poids des immeubles modernes et des centres commerciaux, mondialisation de la gastronomie, appauvrissement de la culture littéraire et musicale victime des lois implacables du marché. C’est tout le problème de l’inculture de masse.

Si l’État « subsidiaire » doit garantir un cadre, il appartient avant tout à la famille et aux corps intermédiaires de vivifier de l’intérieur la nation, en enseignant à ses héritiers qu’ils seront toujours des débiteurs insolvables à son égard, nourris qu’ils furent de sa langue et de sa culture. « Le patriotisme n’est pas seulement l’amour du sol, c’est l’amour du passé, c’est le respect des générations qui nous ont précédés » disait Fustel de Coulanges. Cela passe par des attitudes plus encore que par des mots. La famille doit être ce premier écrin de l’amour patriotique, l’école permettant d’enraciner dans la raison cet amour.

Oui, il faut redonner confiance aux Français dans leur avenir. Et pour que « vive la France », nous devons en priorité leur redonner quelque chose à aimer : « Aimer la France ».

Sébastien Pilard & Anne Lorne