Myriamelkhomi

Ces deux dernières semaines furent particulièrement riches en fiascos médiatiques. Il y eut d’abord le grotesque déplacement chez Lucette, soigneusement préparé par les agents de l’Élysée pour évacuer toute question à laquelle le Président eût été bien en peine de répondre. Mais voilà, ces éminents spécialistes de l’image et de la communication avaient négligé un facteur qui n’entrait sans doute pas dans leur logiciel: l’honnêteté de Lucette. Interrogée plus tard par certains journalistes bien inspirés, la sexagénaire ne tardait pas à révéler le pot aux roses: le déplacement d’un Président de la République est et a toujours été une opération de communication huilée. Vouloir en faire un moment d’authenticité est un parfait mensonge. L’opération Lucette se retournait logiquement contre l’intéressé.

Venons-en maintenant à l’épisode El Khomri. Alors que bien des Français désespèrent de trouver un emploi, alors que ces mêmes emplois se précarisent et que le dialogue social ne cesse de se dégrader, il semblait essentiel de nommer au Ministère concerné une personne à la fois compétente, efficace et légitime.

Plutôt que de fonder son choix sur cette nécessité criante, le gouvernement préféra céder aux exigences de la communication en nommant une personne qui ignore tout de l’entreprise et du monde du travail, mais qui présentait l’avantage incommensurable d’être née femme, et maghrébine de surcroît: le jackpot. Au diable l’emploi des Français, le dialogue social et l’émancipation des classes laborieuses que les socialistes prônaient autrefois! L’important est désormais de redorer le blason, de satisfaire les maniaques de l’égalité et de reconquérir le cœur des électeurs «issus de la diversité». Ce qui devait arriver arriva: la ministre révélait son ignorance des réalités basiques de l’entreprise sous les assauts implacables (et assez faciles, il faut bien le reconnaître) de J. J. Bourdin. La mauvaise élève balbutiait, rouge de honte, devant un showman au scénario bien préparé, trop heureux d’enfoncer son invitée pour pimenter le spectacle. Quelques secondes de solitude et c’en était fait: Mme El Khomri perdait toute crédibilité sur le sujet qu’elle est pourtant censée porter.

C’est l’éternelle histoire de l’arroseur arrosé: à vouloir tout miser sur la com’, le gouvernement finit par se faire prendre à son propre piège. Plus profondément, l’ignorance de Mme El Khomri est symptomatique d’une tendance qui mine depuis longtemps la crédibilité de nos institutions politiques: celle qui consiste à nommer aux ministères des personnalités politiques souvent peu au fait de leur portefeuille ministériel et parfaitement interchangeables, qui joueront parfois aux chaises tournantes durant cinq ans, comme s’il était naturel de s’improviser un jour ministre des Sports, après avoir été au Quai d’Orsay et avant de passer place Beauvau.

En réalité, la plupart des ministres ne sont aujourd’hui plus que les porte-parole de leur ministère: ils ont été choisis pour leur image bien plus que pour leurs connaissances des dossiers, ce qui rend leur action de plus en plus dérisoire.

Et si le véritable changement consistait, pour le prochain gouvernement, à nommer à certains ministères non pas des politiques purs ou des rois de la communication, mais des fins connaisseurs du domaine dont ils auraient la charge? Des personnes qui ne se seraient pas exclusivement (dé)construites en politique, mais des hommes et des femmes de terrain qui auraient longtemps exercé une activité professionnelle en lien avec le ministère auquel ils seraient nommés. Ce type de ministres présenterait un triple avantage. Ayant construit leur vie ailleurs que dans le monde politique et pouvant aisément retourner à leurs activités antérieures, ils seraient sans doute moins obnubilés par leur réélection. Plus détachés de leur image, de l’opinion ou des médias, ils seraient vraisemblablement plus enclins à faire les choix courageux et nécessaires pour l’avenir de notre pays. Conscients de la réalité du terrain, ils arriveraient à leur poste en ayant connaissance des dysfonctionnements que nos dirigeants peinent parfois à saisir et auraient face à leurs interlocuteurs la crédibilité et l’autorité indispensables à la réussite de toute réforme.

Ce changement de paradigme implique un profond renouvellement de la classe politique: il s’agira de faire entrer massivement la société civile dans les instances politiques et de lui donner des responsabilités exécutives. C’est à cette condition, entre autres, que nous remédierons à la crise de confiance qui déchire notre pays et que nous réconcilierons la politique avec le réel. Les Français aspirent à ce que leur gouvernants ne se coupent pas d’eux: ils souffrent de voir l’action politique se transformer en une vaste farce dictée par la tyrannie de l’image, des réélections et du spectacle médiatique, parce qu’ils le vivent, à raison, comme la marque d’un mépris profond à leur égard. Il est urgent de mettre un peu de sang neuf dans le circuit fermé de la politique: mais pour cela, l’exemple doit venir d’en-haut.