Le président de LR multiplie les signes envers cette famille de pensée
Tee-shirt, veste, pantalon, lunettes : tout est noir chez Jean-François Colosimo, le patron des Editions du Cerf, vénérable maison catholique devenue une rampe de lancement pour jeunes auteurs de la droite identitaire. Sa vision du monde contemporain l’est aussi, noire. «Des gens tuent au nom de Dieu», rappelle-t-il, et l’époque serait nimbée de la «lumière noire» de l’individualisme. Le public présent, ce mercredi 17 octobre, dans la grande salle au premier étage du siège du parti Les Républicains, à Paris, grogne d’approbation. Une centaine de personnes, majoritairement âgées, est réunie pour cette nouvelle édition du «rendez-vous des idées», cycle de rencontres animé par le député de l’Yonne Guillaume Larrivé.
«Nous sommes aveuglés par la religion des Lumières. Cette croyance est en train de mourir sous nos yeux », proclame JeanFrançois Colosimo, qui appelle, face à ce «religieux artificiel», à un retour des «religions historiques», «au religieux sans additif». L’audience rugit de plaisir et applaudit en même temps. Avec la bénédiction du président de LR, Laurent Wauquiez, qui encourage vivement ce genre de rendez-vous.
Depuis qu’il a pris la tête du parti de droite, en décembre 2017, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes cherche à élargir le spectre de la «famille» LR, en particulier sur ses rives conservatrices. Le terme n’a pas toujours bonne presse en France, au contraire des pays anglo-saxons, mais il gagne petit à petit du terrain. «Ce n’est pas encore mûr chez nous», reconnaît un élu proche de M. Wauquiez, qui ne revendique pas (encore) l’expression. Mais le bouillonnement intellectuel de ce camp, qui voit s’agiter les essayistes Laetitia Strauch-Bonart et François-Xavier Bellamy, ou des acteurs de la droite hors les murs – mouvement de droite identitaire non partisan –, crée des émules. Dans la foulée de François Fillon, M. Wauquiez cherche à capter ce courant, sur lequel l’ancienne députée frontiste Marion Maréchal fonde une grande partie de sa popularité.
Voisinage sulfureux
Le quadragénaire commence donc à ponctuer ses discours de références chatoyantes aux yeux et aux oreilles des conservateurs. Le jour de sa rentrée au mont Mézenc (HauteLoire), le 26 août, l’ancien ministre cite le philosophe anglais Roger Scruton : «Tout en politique est temporaire, sauf la sensibilité profonde d’un peuple.» Lors des journées parlementaires de LR, à Divonne-les Bains (Ain), le 20 septembre, il loue Michel Houellebecq, son ami dans le privé, «qui a dénoncé pour la France cette posture de soumission qui renonce à dire ce que l’on voit et qui renonce à faire». «Il y a un avènement des futurs», lance M. Wauquiez, paraphrasant le romancier. Et de dessiner d’un trait de plume sa propre colonne vertébrale : «Redonner de la liberté et protéger notre identité.». Un vrai programme conservateur
Samedi 20 octobre, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes était attendu en fin de matinée devant les jeunes troupes de l’Union nationale interuniversitaire (UNI) pour fêter les 50 ans du syndicat étudiant, qui l’a soutenu dans sa conquête de LR. Un autre invité devait se produire plus tard dans la journée : Eric Zemmour, le polémiste anti-islam, star du Figaro et des réseaux identitaires. «Cela s’est fait indépendamment l’un de l’autre», jure Olivier Vial, président de l’UNI. «Ils invitent qui ils veulent», évacue-t-on dans l’entourage de M. Wauquiez, pas plus gêné que cela par ce voisinage sulfureux.
Tout ce qui est conservateur est mien, semble-t-il dire de toute façon. Le 18 novembre, le président de LR doit participer à une journée de débats du mouvement Sens commun intitulée : «La droite que nous voulons est conservatrice». Pendant un an, ce parti associé à LR a navigué en sous-marin, le temps de faire oublier que son ancien président, Christophe Billan, avait déclenché une polémique en déclarant pouvoir travailler avec Marion Maréchal. La nouvelle patronne de Sens commun, Laurence Trochu, veut tourner cette page avec une ambition en tête : faire de cette structure un «mouvement de droite conservateur», et non plus une simple «émanation de la Manif pour tous». «Le conservatisme, c’est l’enracinement, plaide Mme Trochu. Et Laurent Wauquiez est dans cette démarche-là, qui consiste à dire que nous travaillons pour les générations qui nous suivent.»
En prévision des élections européennes de mai 2019, la dichotomie imposée par Emmanuel Macron entre «progressistes» et «conservateurs» semble prendre LR en tenaille, avec d’un côté La République en marche et de l’autre le Rassemblement national. Mais Laurent Wauquiez, engagé dans une lutte avec Marine Le Pen pour le leadership à droite, peut espérer jouer sur ce clivage à plus longue échéance et tenter d’installer un duel avec le chef de l’Etat.
Olivier Faye