Figaro Vox

TRIBUNE de Sebastien Pilard, chef d’entreprise, président de Sens Commun et Paul Bazin, conseiller municipal au Perreux-sur-Marne pour le FigaroVox

Nous voulons l’Europe, sans hésiter. Non pas par attachement dévot à l’héritage de ses pères fondateurs, car ceux qui les ont suivis n’ont pas su nous faire aimer l’Europe, faute de nous en donner le sens : on ne peut aimer ce que l’on ne comprend pas. Non pas par réflexe partisan, répétant aveuglément la profession de foi régulièrement reprise par notre famille politique. Pas non plus parce que « l’Europe c’est la paix » : ce refrain lancinant, dont il faut espérer qu’il reste vrai, ne dit plus rien aux trois générations nées après 1945. Pas même parce que nous avons grandi dans une Europe où l’on va de Paris à Berlin, à Rome ou à Madrid comme l’on allait autrefois à Lyon ou à Nantes.

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Nous voulons l’Europe pour une seule raison, toute simple, presque trop simple semble-t-il pour que le débat pré-électoral ne prenne la peine de la mentionner, de l’interroger et de la vérifier : la France a besoin de l’Europe. Être européen, c’est être réaliste.

Ce n’est pas dénigrer la France que d’affirmer qu’elle a besoin de l’Europe ; c’est être réaliste sur ce qu’elle est, tout en voulant sa grandeur. Le jeu des puissances n’oppose plus depuis longtemps quelques nations européennes, mais des géants d’orient et d’occident. Si la France conserve des attributs de puissance dans le monde (langue, culture, territoires), elle n’a plus, à elle seule, suffisamment d’atouts dans son jeu pour faire face aux géants asiatique et américain.

 

On ne négocie pas le même traité de libre-échange lorsque l’on pèse 65 ou 500 millions de consommateurs, 2 000 ou 20 000 milliards d’euros de produit intérieur brut. Faudrait-il, parce que nous voudrions négocier dans notre coin, renoncer à des débouchés plus importants pour nos productions nationales ?

On ne peut pas privilégier l’accueil ordonné de talents étrangers et de réfugiés, et lutter efficacement contre l’entrée illégale sur notre territoire sans coopérer avec nos voisins qui connaissent ce même phénomène, sans mettre en place un programme de co-développement destiné à fixer les populations sur place.

Nous avons besoin d’une Europe forte à l’extérieur, pour qu’en son intérieur chaque État, chaque peuple puisse prospérer. Non seulement nous en sommes encore loin, mais nous marchons dans l’autre sens. Désunie, discordante lorsqu’elle doit traiter des problèmes du monde (Ukraine, Proche-Orient, réchauffement climatique), l’Europe surinvestit au contraire le champ intérieur.

Pas question de l’accabler en oubliant que la vraie responsabilité incombe aux États : l’Union ne fait qu’utiliser, de manière extensive, les prérogatives que les pays-membres lui ont données. Mais avons-nous besoin que l’Europe édicte des normes sur le type de gravier qui peut être utilisé pour terrasser une piste d’atterrissage en Guyane ? Avons-nous besoin que l’Europe décide du calibrage du concombre et de la tomate cerise ? Avons-nous besoin que l’Europe s’immisce dans notre politique éducative et familiale pour y véhiculer les dernières idéologies à la mode ? Et si la réponse est non, pourquoi, dès lors, lui confier une telle prérogative ? Ce sont bien ces choix qui sont en cause, plus encore que l’incapacité des gouvernements à les assumer, et leur coupable habitude de se cacher derrière Bruxelles pour ne pas avoir à rendre de compte.

Ce sont donc les compétences de l’Europe qu’il s’agit de redéfinir, pour les limiter à ce qui nous est nécessaire. Il nous faut faire de l’Union un levier pour les États. Un levier qui les renforce au lieu de s’y substituer, qui favorise l’échange, la mise en commun des ressources pour bâtir des projets de taille mondiale. Il nous est pour cela nécessaire d’établir ensemble les domaines dans lesquelles des règles communes sont indispensables : la fiscalité à n’en pas douter, sans doute aussi le droit social.

Surtout, il ne s’agit pas de savoir combien d’États, mais combien de peuples y sont prêts, et de quelle Europe ils ont envie. Il n’est plus acceptable de faire l’Europe sans les peuples, d’envoyer au Parlement des candidats élus par un tiers des inscrits, sans connaissance de l’Union ni vision pour elle, et qui une fois installés sur leur siège ne rendent plus aucun compte aux Français. C’est la responsabilité de nos partis : proposer au suffrage des élus qui savent ce qu’ils vont faire à Bruxelles, qui connaissent les dossiers européens et savent les expliquer à leurs électeurs.

Certes, notre droit et notre système administratif français n’ont aucune leçon de clarté et de simplicité à donner. Mais en cela l’Europe nous surclasse largement, et la complexité de son fonctionnement est non seulement coûteuse mais aussi un terreau fertile pour tous les fantasmes et les mensonges. C’est la responsabilité des gouvernements de simplifier cette machine, celle des médias d’en décrire les rouages et leurs effets, et la nôtre de nous en informer.

L’Europe que nous voulons ne se fera pas en un jour, mais elle est possible si l’on refait la liste de ce qui doit vraiment lui être confié, et si l’on obtient à nouveau, pour la construire, la confiance et l’espérance des citoyens. La désagrégation de l’Europe actuelle, contrainte pour les États, excuse pour les gouvernements et épouvantail pour les citoyens, n’est pas seulement possible : elle est certaine.

Ceux qui ont une vraie ambition pour la France ne sont ni ceux qui refusent la moindre critique sur l’Europe, en lui donnant l’infâmant nom d’ « euroscepticisme », et qui entendent poursuivre la fuite en avant d’un modèle européen qui ne rassemble plus, ni ceux qui veulent la détruire en l’accablant de nos propres fautes. Ceux qui ont une vraie ambition pour la France sont ceux qui ont pour l’Europe l’ambition réaliste et salutaire d’un changement radical d’orientation, avec et pour les peuples.