XVMef6b3166-6cd2-11e5-8495-35263dadf067Cher parent,

Tu étais très remonté, l’été dernier, en prenant connaissance du projet de réforme du collège et des nouveaux programmes prévus de la rentrée 2016: moins de temps consacré aux fondamentaux, un programme d’histoire faisant l’impasse sur certaines périodes pourtant essentielles, un programme de français promouvant une culture hors-sol, des EPI réduisant l’école à une vaste colonie de vacances, la suppression de filières qui étaient de véritables tremplins pour les élèves de ZEP, des consignes pédagogiques jargonneuses et déconnectées du réel… Bref, tu avais bien des raisons de t’émouvoir, avec les deux tiers des Français qui s’opposaient farouchement à cette réforme en juin dernier.

Mais aujourd’hui, tu apparais moins combatif. Il faut dire que la ministre de l’Education nationale a su trouver les mots justes, à quelques jours de la mobilisation nationale contre sa réforme: n’a-t-elle pas dit que «les savoirs fondamentaux sont le cœur de la refondation de l’école»? Sans oublier la déclaration que tout le monde aura retenue, à l’exclusion de tout le reste: «Dans ces nouveaux programmes, il y a désormais une dictée quotidienne, des exercices de calcul mental tous les jours, de la lecture quotidienne

Les fondamentaux, la dictée, le calcul mental… Tu as crié au miracle devant la conversion subite de notre ministre à la nécessité du «lire-écrire-compter». Tu as cru tes enfants hors de danger et voyais déjà l’aurore d’un avenir meilleur. Bref, comme souvent, Najat Vallaud-Belkacem s’est montrée habile communicante, et le résultat est là: tu ne chambouleras pas ton week-end pour rejoindre le cortège des Français qui marcheront contre la réforme, samedi prochain, à Paris. Et si l’on se détachait un instant des beaux discours pour mieux considérer le réel? N’oublions pas que nous avons face à nous une ministre de l’Education nationale qui était auparavant chargée de la communication gouvernementale.

Madame Belkacem a donc affirmé que «les savoir fondamentaux sont le cœur de la refondation de l’école.» Comment se fait-il, dès lors, que sa réforme du collège entend réduire de 120 heures par an le nombre d’heures consacrées à l’enseignement de ces disciplines fondamentales?

Venons-en au calcul mental et à la fameuse «dictée quotidienne». Si le calcul mental est bien évoqué à plusieurs reprises dans le projet de programmes, l’expression «dictée quotidienne», elle, n’apparaît jamais sur les 373 pages du rapport, pas plus que les conditions de sa mise en œuvre. Quant au mot isolé «dictée», il apparaît à treize reprises, certes, mais il renvoie aussi bien à la dictée d’un énoncé qu’à la «dictée à l’adulte», qui est l’exact opposé de la dictée telle qu’on l’entend, puisque c’est l’enfant qui dicte à l’adulte, et non l’inverse. Enfin, les nouveaux programmes ne prévoient pas d’accompagner ces dictées d’enseignements renforcés de l’orthographe et de la grammaire. On rendra donc à l’élève sa copie corrigée, sans lui expliquer le pourquoi de ses fautes, et sans lui dévoiler la logique derrière telle ou telle règle orthographique. En d’autres termes, on évaluera l’ampleur du mal sans essayer de le guérir. Le niveau de tes enfants continuera de s’effondrer, et, avec lui, leurs chances de réussite sociale et d’insertion professionnelle.

Pourquoi, dès lors, ces annonces choc? Pour mieux t’enfumer, tout simplement ; pour détourner ton attention à coup de formules racoleuses et de sourires charmants ; pour atténuer ton opposition et te démobiliser, à quelques jours de la manifestation, en faisant mine de lâcher du lest aux desiderata du «géniteur d’apprenant» que tu es. Manuel Valls avait d’ailleurs déployé la même stratégie en octobre 2014, trois jours avant une mobilisation de la Manif pour tous contre la PMA et les mères porteuses, en annonçant dans La Croix que La France entendait «promouvoir une initiative internationale contre la GPA» – annonce restée à ce jour lettre morte.

D’ailleurs, la ministre de l’Éducation nationale a tout prévu: dans la foulée de ses annonces, Najat Vallaud-Belkacem a commandé à l’IFOP un sondage sur le nouveau projet de programmes scolaires. Objectif de la manœuvre: récolter l’approbation des Français au sujet de la «dictée quotidienne» ou du «calcul mental» afin de prouver que les «nouveaux programmes recueillent un soutien massif dans l’opinion». Comme si ces mêmes programmes se limitaient au calcul et à la dictée quotidienne, alors qu’ils contiennent toujours une réduction horaire des enseignements fondamentaux, une interdisciplinarité artificielle et démagogiquement ludique, ou encore l’introduction d’enseignements nouveaux, notamment l’éducation au langage informatique et au numérique dès le primaire, quand bien même le temps manque aux instituteurs pour l’enseignement des fondamentaux, et à l’heure où les écrans amenuisent bien souvent la capacité de concentration des élèves. Sans parler de l’offensive contre notre patrimoine culturel à travers le coup porté à l’enseignement du français, du latin et du grec. La vérité, pour reprendre l’expression d’un appel lancé par d’éminents confrères contre la réforme, c’est que l’école de Najat Vallaud Belkacem fera de tes bambins des enfants globalisés, «sans racines et sans ailes». De quoi apaiser cette génération assoiffée d’idéal, de repères et de sens.

Cher parent, samedi prochain, tu auras sans doute bien d’autres chats à fouetter. Les enseignants aussi, mais ils seront malgré tout nombreux à défiler dans la rue pour pouvoir donner le meilleur à tes enfants. Car c’est pour ces derniers qu’ils se battent. Et toi, où seras-tu?

Madeleine Bazin de Jessey

FigaroVox le 07/10/2015