J’écris ces lignes à l’heure où débute la grand’messe agricole annuelle française, le Salon International de l’Agriculture.

Cette ouverture se fait dans la douleur, la colère, la confusion et la violence. Douleur et colère d’une profession qui se sent attaquée, qui doute d’elle-même, forcée qu’elle est à des adaptations ubuesques, souvent insensées, ruineuses et inutiles. Confusion d’un pouvoir politique totalement dépassé qui court comme un canard sans tête, pris dans les contradictions ontologiques du « en même temps ». Violence d’un président de la République qui se plaît à verser de l’huile sur le feu au lieu de le mettre dans les rouages, dont le mépris suinte à chacun des mots de son inutile et fausse logorrhée.

Le marasme agricole ne date pas d’hier, mais il a pris une singulière ampleur ces derniers mois, et ce au plan européen. C’est un élément à prendre en compte, car il indique d’où vient le problème.

À première vue, on pourrait croire que la France, ses prélèvements obligatoires records, son administration obtuse et omniprésente, sa surtransposition grotesque de toutes les contraintes européennes, aurait dû être le premier pays à ressentir de violents soubresauts. Eh bien non, c’est de la sage Allemagne qu’est partie la contestation agricole.

Pourquoi ? Parce que notre gouvernement français maitrise à la perfection la cuisson de la grenouille : faire tiédir l’eau tout doucement… Et rafraichir de temps en temps en déversant ce qu’il faut d’aides.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, en Allemagne comme en France, c’est la hausse de la fiscalité sur le Gazole Non Routier (GNR, carburant utilisé par nos tracteurs) qui a fait déborder le vase. Mais le malaise est très profond, il va bien au-delà d’un problème financier conjoncturel.

Ne tournons pas autour du pot, le problème agricole a une origine très claire : la pression « écologique » exercée par la société dans son ensemble sur notre profession. Les guillemets sont importants, car l’écologie politique dont il est ici question est bien souvent dénuée de fondement scientifique, ne faisant appel qu’à des peurs irrationnelles savamment crées et entretenues.

Cette pression idéologique ne date pas non plus d’aujourd’hui, mais elle a pris un tournant inquiétant ces dernières années, d’abord en France, maintenant au niveau de l’UE avec le fameux « Pacte Vert Européen », plus connu sous son nom anglais, Green Deal.

Ce plan présenté par Ursula von Der Leyen (VDL) en décembre 2019, presque immédiatement après sa prise de fonction, est la pierre angulaire de toute l’action menée par l’actuelle Commission européenne. Il vise à réduire de 55 % l’empreinte carbone de l’UE d’ici à 2030 par rapport à 1990, (objectif « Fit for 55 ») et à atteindre la « neutralité carbone » de l’UE en 2050. Vaste et noble programme.

Il faut se rappeler que Mme von der Leyen n’était pas la candidate choisie au départ par le parti européen arrivé en tête aux élections, le PPE. Le « Spitzenkandidat » était Manfred Weber. C’est Emmanuel Macron qui a réussi à imposer VDL, exfiltrée du ministère de la Défense allemand où elle s’était fait remarquer pour son incompétence. Pour être confirmée par le Parlement, elle développe un programme bien plus social-démocrate que chrétien-démocrate, avec nombre de concessions aux centristes, aux socialistes et surtout aux verts. Elle n’obtient qu’une courte majorité (383 voix sur 747).

La composition de la Commission suit le même chemin, avec notamment la nomination du socialiste Hollandais Frans Timmermans à une vice-présidence exécutive comme Commissaire à la lutte contre le changement climatique, en charge… du Pacte Vert. Le portefeuille de l’agriculture échoit au Polonais Janusz Wojciechowski, dont l’insignifiance est manifeste.

Tout est en place, le Green Deal sort en décembre 2019, durci et voté à une très large majorité par le Parlement le 15 janvier (482 pour, 136 contre et 95 abstentions). Notons qu’en plus de la gauche, des Verts et des centristes, une grosse majorité du PPE l’a aussi voté. La « Loi Climat » qui en découle est présentée le 4 mars 2020 en présence de l’activiste Greta Thunberg. Pascal Canfin et son groupe ont poussé à l’objectif des 55 %, au lieu des 40 % initialement prévus dans la programmation précédente.

Les conséquences du Green Deal sont énormes et variées, je vais surtout m’attacher à vous parler de ce qui concerne l’agriculture, pour l’avoir suivi de très près.

Le 20 mai, la Commission révèle les lignes directrices qui s’appliqueront à l’agriculture, il s’agit de la « Stratégie de la Ferme à la Table », en anglais : Farm To Fork Strategy (F2F). D’ici 2030 il est demandé à l’agriculture de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires de moitié, de diminuer de 20 % l’usage d’engrais, d’avoir 25 % des superficies agricoles en agriculture bio (soit un triplement de la sole bio), et de changer la destination de 10 % des terres cultivables pour en faire des éléments de biodiversité. Ce dernier point, très impactant, sera par la suite quelque peu « oublié ».

Quand la Commission présente des textes de cette nature, en principe, elle en analyse les conséquences dans une « étude d’impact ». Rien de tel ici, enfin pas officiellement. À Bruxelles, il se disait qu’une étude existait, réalisée par le Centre Commun de Recherche (Joint Research Centre) de l’UE. Il se disait aussi que l’étude montrait des résultats tellement mauvais qu’elle était cachée par la Commission. Elle sortira finalement en catimini fin juillet 2021.

En attendant, d’autres études sont publiées, dont celle du Département Américain de l’Agriculture (USDA), qui s’inquiète des retombées induites de F2F non seulement sur l’agriculture européenne, mais aussi sur les équilibres alimentaires mondiaux. Plusieurs universités européennes réaliseront aussi des études. Toutes confirment, à des degrés divers, que la stratégie F2F, si elle est appliquée, sera une tragédie. L’étude de Kiel par exemple prévoit une baisse de production globale de 16 %, dont -21 % en céréales, une balance commerciale alimentaire déficitaire, et un coût annuel estimé de 70 milliards d’Euros, soit 157 € par européen et par an !

Il faut aussi garder à l’esprit que ces changements aussi profonds qu’ineptes nous sont demandés en un temps record ! L’agriculture est une industrie lourde, un paquebot qui ne se manœuvre pas aisément, où l’unité de temps minimale est l’année culturale, voire bien davantage en cultures pérennes.

Malgré cela, le 19 octobre 2021 le Parlement vote encore très majoritairement pour : 470 pour, 170 contre et 76 abstentions. Dans le détail, la gauche, les verts et le centre ont massivement voté, pour le PPE aux deux tiers pour, ECR contre ou abstention, ID très majoritairement contre. Il est à noter que les Français du PPE ont à ce stade compris le danger du projet, et voté contre, après avoir voté favorablement en Commission quelques semaines plus tôt.

Le processus législatif suit son cours et d’autres textes sont présentés, plus ou moins amendés et votés par le Parlement. 

Restore Nature est adopté le 10 novembre 2023, dans l’attente de la discussion en Trilogue. L’objectif invraisemblable de 10 % de terres agricoles transformées en « éléments de biodiversité » y reparait durant les discussions, soutenu par Pascal Canfin (président de la Commission Environnement), mais il est heureusement éliminé par la droite, notamment le PPE.

Un dernier texte sur l’usage soutenable des produits phytosanitaires, connu sous son acronyme anglais SUR, aura un sort différent : il est tellement amendé par la droite, notamment le PPE, que ses promoteurs initiaux, Gauche, Verts et centristes, finissent par voter contre, alors que le PPE vote pour. Un dernier vote à main levé empêche même qu’il fasse son retour en Commission, il est donc définitivement rejeté par le Parlement le 21 novembre 2023. Les élections approchant, et la grogne des agriculteurs aidant, Mme von der Layen annonce le 7 février 2024 qu’elle ne représentera pas ce texte.

Voilà où nous en sommes à date. Voilà ce qui crée chez tous les agriculteurs européens ce mal-être qui confine à un burn-out. Nous sommes TOUS exaspérés d’être pris pour des imbéciles, de n’avoir pas du tout été consultés sur l’ensemble de ces textes, d’entendre jour après jour que notre activité pollue, que nos vaches émettent un regrettable méthane, que nos produits phytosanitaires ne sont que d’inutiles et dangereux pesticides, et que finalement la planète se portera bien mieux si nous mourrons. 

Il est compliqué de prendre parti contre le Pacte Vert sans être immédiatement taxé de climato-scepticisme, et de fascisme pour faire bonne mesure. Mais la réalité, et pas que pour l’agriculture, c’est que ce texte est sous-tendu par une philosophie malthusienne, qui prétend organiser une décroissance insoutenable.

« Que périssent l’Europe et ses habitants, pourvu que vive la planète », voilà le cri de ralliement implicite des promoteurs du Green Deal.

Si ces politiques perdurent, oui, nous serons éliminés de l’Histoire, mais non, cela ne sauvera pas la planète. Rappelons que l’UE n’est responsable QUE de 7 % des émissions mondiales de Gaz à Effet de Serre.

Alors que faire ? Pour moi, il faut supprimer le Pacte Vert, reprendre à zéro L’ENSEMBLE des textes européens qui en découlent et les reconstruire dans une optique foncièrement différente. En vue du Bien commun, qui ne peut prétendre détruire l’Homme pour sauver la nature, nous organiserons ainsi harmonieusement une Europe plus écologique, dans la bonne acception de ce terme.