Avant toute chose, il faut de dépoussiérer le concept de « vertu ». Celle-ci n’est pas à ramener à de la pudibonderie ou à un quelconque sens de l’honneur. L’histoire de la philosophie grecque a défini la vertu comme une perfection individuelle, une disposition à agir. Son acquisition est circulaire, dans le sens où plus on la pratique, plus on l’acquiert, et plus on la possède, plus on est à même de l’exercer : c’est pour cela que l’on parle de cercle vertueux.

Elle fonctionne donc sur le modèle d’un sport, ou encore d’un instrument de musique : on devient violoniste en jouant du violon, et on devient gymnaste en s’exerçant à la gymnastique. Ainsi, on acquiert la prudence en la pratiquant, et elle contribue ainsi au bien de la personne et, ce faisant, de la cité. Cette perfection correspond à la structure de notre âme : son exercice contribue à nous rendre conforme à notre nature d’êtres humains.

Parmi les vertus, la « phronésis » ou « vertu de prudence » fait partie des vertus intellectuelles, c’est-à-dire qu’elle suppose d’utiliser sa rationalité et d’agir en être doué de raison. C’est la vertu qui guide nos actions dans la vie politique, sociale. C’est par excellence la vertu du chef, de celui qui exerce le pouvoir en appliquant la loi.

Il s’agit d’une sagesse pratique, à la différence de la sagesse, « sophia », dont l’exercice consiste en une attitude purement théorique : la prudence est une vertu intellectuelle, mais elle est l’application de notre raison au contingent, et c’est en cela qu’elle est éminemment politique. Le sage est celui qui contemple le vrai et le bien dans un exercice de spéculation, il s’agit pour lui de démontrer ce qu’est le bien en soi. L’homme politique, en revanche, les applique au réel dans un exercice de délibération : il applique la raison au contingent, à ce qui arrive. Le rôle de la prudence n’est donc pas seulement intellectuel, elle est ordonnée à la vie pratique.

« De l’avis général, le propre d’un homme prudent c’est d’être capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour lui-même, non pas sur un point partiel (comme par exemple quelles sortes de choses sont favorables à la santé ou à la vigueur du corps), mais d’une façon générale, quelles sortes de choses par exemple conduisent à la vie heureuse. » Aristote, Ethique à Nicomaque.

Toute la tâche de l’homme prudent revient à articuler la loi, qui dit ce qui est bon pour tous, et le besoin du cas présent, auquel la loi s’applique. La pensée raisonne sur de l’universel, or celui qui gouverne, qui détient le pouvoir exécutif, est face à des cas singuliers  pour lequel il applique une loi qui est générale. Aristote donne un exemple d’homme prudent: Périclès, stratège et homme d’État athénien, chef par excellence parce qu’il est capable d’articuler ce qu’il sait être son bien propre et ce qu’il sait être le bien de l’homme en général, et d’agir en fonction dans le gouvernement de la cité.