Antoine est agriculteur en Bourgogne-Franche-Comté, proche de Dijon. Il cultive des céréales, du blé, de la moutarde, des tournesols, du soja… Aujourd’hui, il exprime son ras-le-bol et espère de tout cœur que la mobilisation agricole fera radicalement changer les choses. Interview.

 

Une grande majorité des agriculteurs se rejoignent dans cette mobilisation, mais ne défendent pas les mêmes projets en raison de leur branche professionnelle, appartenance syndicale… Selon vous, quelles sont les mesures que le gouvernement se doit de mettre en place en priorité afin que tout le monde agricole puisse se mettre d’accord ?

Premièrement, la simplification drastique des normes et des procédures d’indemnisation. Un virage politique se doit d’être mis en place et non plus seulement annoncé. Cela fait trop longtemps que l’on attend ce « choc » de simplification, mais aujourd’hui encore plus qu’hier, l’on passe trop de temps dans les papiers à remplir des dossiers administratifs qui sont de plus en plus lourds, ne sachant pas si à la fin, nous allons être aidés ou pénalisés.

Moi, je suis céréalier et avec les collègues de ma filière, nous sommes moins concernés par l’attente de nouvelles aides. Le nouveau Premier ministre a déjà annoncé plusieurs mesures qui conviennent aux attentes de ma branche, mais va-t-il véritablement appliquer tout cela ? À voir… Par contre, nos amis éleveurs attendent les aides de leur région, des collectivités, etc. car les procédures sont trop longues, c’est insupportable. Leur filière a besoin de nouvelles aides et non de promesses.

Une mesure vitale pour le progrès et l’adaptation du monde agricole aux besoins et enjeux modernes, est celle des règles d’utilisation des traitements phytosanitaires. Cette réglementation change tout le temps. Nous voulons que les agriculteurs français ne soient pas plus pénalisés que les agriculteurs européens. Car cette concurrence est déloyale, mais jamais nommée ainsi. Il faut instaurer des clauses miroirs afin de protéger nos productions, c’est-à-dire d’arrêter d’importer sur notre sol des produits qui ne respectent pas le cahier des charges français en matière de normes qui nous sont imposées. Comment faire face à un marché qui propose des produits aux prix imbattables venus de l’étranger ? Je pense vraiment que les « écolos » français, pour ce cas précis, poussent pour que leur idéologie antiphytosanitaire prime sur les réels besoins des consommateurs et des agriculteurs.

Par exemple, dans mon exploitation de moutarde, j’ai eu une grosse invasion d’insectes lors de la saison 2019/2020 et mes plants n’ont pas pu lever à cause des ravageurs. Résultat des courses, on a récolté seulement un quintal de la production, et cela, deux années consécutives ! On a pensé à tout arrêter suite à ce désastre, à jeter l’éponge. Tout cela à cause des industriels qui nous fournissent des graines dîtes « écolos », mais qui ne sont pas résistantes aux insectes qui ravagent nos cultures. Nous, agriculteurs, nous savons que les industriels ont de plus en plus d' »écolos » qui imposent leurs règles dans les comités de pilotage, et cela, pour redorer leur image. Par contre les « écolos » se taisent sur la production de produits ménagers. Certains sont jusqu’à 5 fois plus toxiques que nos phytosanitaires. On préfère cibler les agriculteurs, mais plus personne ne pense à leurs contraintes ainsi qu’à leurs besoins. Et ne parlons même pas des assurances et de leurs bouquets d’indemnisation qui ne couvrent qu’à 50 % de la perte dans le meilleur des cas. Suivi du taux d’assurance qui baisse énormément après de tels ravages… Quand on fait l’état des lieux de tout ce qui s’accumule sur notre dos, la révolte des agriculteurs est légitime !

Quel rôle doit jouer l’U.E dans les politiques agricoles françaises ?

L’État doit, avant toute autre chose, faire beaucoup plus confiance aux agriculteurs quant aux façons de produire. La France doit arrêter sa course à l’échalote avec l’U.E en matière de surtransposition de normes écologiques complétement déconnectées de nos réalités. Notamment sur les utilisations de produits phytosanitaires.

Mais ce n’est pas tout. Concernant les traités de libre-échange, il est vital pour nos agriculteurs que la France dise STOP. Par exemple, concernant les traités de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et le Chili, Emmanuel Macron n’a pas fait pression sur la Commission européenne pour limiter et encadrer ces traités selon les besoins de protection des agriculteurs français. Le président de la République a laissé carte blanche à la Commission européenne pour mener ces accords de libre-échange. En ce moment même, la Commission européenne poursuit ses négociations avec les pays concernés par le traité du Mercosur, et cela, alors qu’une vague de révolte sans précédent a lieu en France et en Europe. Que devons-nous en comprendre ? Nous, agriculteurs ?

Concernant le rôle de l’U.E dans la politique agricole générale, tout se mélange à la fin : idéologie, intérêts, société de consommation, recherche de profits à outrance… Sur la question de l’idéologie, les « écolos » européens souhaitent que l’on mange et que l’on produise moins de viande sur notre continent. Ils justifient cette volonté sous le prisme de la protection de la planète en se faisant les défenseurs de la biodiversité qui luttent, sans relâche, pour limiter les émissions de CO2 émanant de l’activité agricole, de l’utilisation de l’énergie et de l’eau dans les élevages… mais ces mêmes « écolos » ne prennent plus du tout en compte la détresse des éleveurs qui respectent davantage leurs bêtes que certains de nos voisins hors U.E. Et pour le cas des éleveurs français, c’est la même chose, mais avec nos voisins européens qui n’accordent pas la même importance de traitement et de qualité finale à l’endroit de leur élevage respectif. Les « écolos » français soutiennent à bas mots les traités de libre-échange afin que les productions agricoles et animales des agriculteurs français diminuent, voire disparaissent. Et si cela passe par le libre-échange et la délocalisation de nos filières agricoles, ils soutiendront quand même. Si certains élus s’y opposent au Parlement européen, ces mêmes défenseurs de la nature n’hésitent jamais à imposer encore plus de normes aux agriculteurs sans pour autant prendre en compte le fait que ça nous tue.

Qu’attendez-vous en matière de réglementation phytosanitaire pour votre secteur ?

Que des mesures d’information contre l’agribashing se mettent en place. Nous ne sommes pas des pollueurs, nous, les agriculteurs. Il faut que le monde entier le sache. Prenons l’exemple français de l’utilisation des produits phytosanitaires : grâce à la science et au progrès technologique, ces solutions chimiques agricoles ciblent bien plus efficacement les nuisibles visés. Dans ma culture, un pesticide contre un ravageur a été utilisé pour le traitement de mes champs et malheureusement, un essaim d’abeilles a été traité. Mais nous avons constaté qu’aucune abeille n’a été tuée ! Car le produit phytosanitaire en question est doté d’une technologie qui arrive à distinguer les nuisibles des abeilles. La toxicité de certains produits existe, mais il faut faire confiance aux bonnes pratiques des agriculteurs sur le sujet. Nous voulons nourrir et pas empoisonner !

Nous attendons aussi que toutes les décisions ou changement de réglementation en matière d’utilisation de produits phytosanitaires soient vus et débattus au moins trois à six ans avant leur entrée en vigueur. Tout cela compte tenu du changement de méthode pour les agriculteurs. Car nous devons nous préparer à changer de produits, de mode de culture, etc. Mais aucun agriculteur ne vous dira qu’il est opposé à l’évolution de telle ou telle de ses pratiques. Il veut juste être considéré et non plus seulement dépêché et puni en vitesse s’il n’a pas eu le temps de s’adapter aux nouvelles normes en vigueur.

Pour ma part, je suis favorable à l’idée que l’on reconnaisse l’agriculture « très raisonnée. » Il faut protéger ce modèle agricole en labellisant par exemple, en faisant la promotion de ce qui distingue ce modèle agricole du bio’ et du raisonné, etc. Car les modèles agricoles sont complexes et il y a une émulation entre les producteurs de mêmes produits. Cette concurrence est positive, car nos agriculteurs cherchent toujours à mieux produire, alors, si l’on reconnaît que telle ou telle méthode apporte un plus au produit final, l’on considèrera l’agriculteur comme un élément essentiel de notre société et non plus comme un pollueur.

À votre avis, est-ce que le gouvernement de Gabriel Attal sera en mesure de réformer les normes françaises et européennes trop contraignantes que dénoncent les agriculteurs ?

Pour le gazole non routier par exemple, la détaxation directe décidée par le gouvernement a donné satisfaction aux collègues de ma branche professionnelle ainsi qu’à beaucoup d’autres agriculteurs, mais pas aux éleveurs, car ils utilisent beaucoup moins de véhicules agricoles. Pour répondre à cette question, je parlerai aunom de la branche de l’élevage, qui reste suspendue à d’autres attentes. Cette branche est vraiment impactée par tout ce qui s’est accumulé au fil des années, des renoncements politiques et de l’invisibilisation des agriculteurs et de leur détresse. Il faut que de vraies procédures simplifiées soient mises en place et que les lois Egalim soient respectées. Ces lois ont pour nature la protection des agriculteurs en matière de prix afin de leur garantir une juste rémunération. Mais qu’en est-il lorsque les grandes surfaces nous achètent nos produits à leur coût de production ? Il ne faut pas d’effet d’annonce. L’avenir nous dira si Bercy a bien veillé au respect de ces lois, mais pour l’instant, il est trop tôt pour soit fustiger le nouveau Premier ministre soit pour l’encesser, car il est monté sur un ballot de paille.

De manière générale, il faut qu’une politique de simplification des aides et des mesures d’urgence soit véritablement mise en place. Sans renvoi de balles entre les administrations compétentes. Mais de cela, ne dépend que la politique française et non-européenne. Encore une fois, les agriculteurs ne ciblent pas essentiellement la France, l’U.E ou un pays étranger membre d’un traité de libre-échange, mais bel et bien tout ce qui les tue à petit feu.

Pour finir sur ce qui est possible de faire en France, qui plus est indispensable, nous, agriculteurs, avons besoin d’une vraie politique de stockage de l’eau. En hiver, lorsqu’il pleut énormément et que des villes se retrouvent noyées, comme cette année dans le nord de la France par exemple, on devrait être en mesure de pouvoir stocker l’eau durant cette période hivernale, afin de gérer l’arrosage de nos cultures en cas de crise de sécheresse. On comprend le fait qu’il faille réglementer le stockage de l’eau pour que les nappes phréatiques puissent se remettre à niveau et que les rivières retrouvent leur débit originel. Mais on doit vraiment savoir stocker pour faire face aussi au réchauffement climatique. Sinon les français n’auront même plus accès aux produits de nos récoltes et si nous n’avons rien à vendre, si tout est cramé, alors l’on ne pourra plus du tout se nourrir avec des produits français. Il ne faut pas oublier que déjà 60 % des fruits que nous consommons, 40 % des légumes, 50 % de la viande blanche et 25 % de la viande rouge sont des produits issus de l’étranger alors que nous avons encore les capacités de les produire en France !

Si le gouvernement répond favorablement aux revendications du monde agricole, ne risque-t-il pas d’engager un nouveau bras de fer avec les militants, politiques et lobbys écologistes ?

Les impôts et taxes que perçoit l’État sur le dos des agriculteurs sont conséquents, donc, cela serait un très mauvais calcul de la part des politiques que de choisir d’aller contre le monde agricole, car si nous mourons, une grosse partie des recettes que l’Etat perçoit du monde agricole partira avec. Grâce à nos agriculteurs, la France est notamment très bonne à l’export. Avec la guerre en Ukraine, on a bien vu que la France était quand même, malgré les politiques qui nous tuent, encore un grenier à blé. On a même pu exporter des céréales vers des pays dépendants de l’Ukraine d’habitude. En plus, notre souveraineté agricole a été assurée lors de cette période. L’État a pu compter sur ses agriculteurs. Désormais, on espère pouvoir compter sur lui.

Donc, si l’orientation des politiques agricoles françaises prend le tournant écologiste et non écologique, l’on ne donne pas cher de notre peau. À force de marteler l’opinion publique en nous traitant de pollueurs, un jour, les français ne vont plus soutenir nos revendications et nos mouvements de contestation. Nous avons la chance aujourd’hui de voir que 9 français sur 10 nous soutiennent, car même si la grande majorité d’entre eux ne travaillent pas dans les champs, ils comprennent tout de même que nous sommes vitaux pour notre économie et notre souveraineté alimentaire.

Sous le prisme de la défense de l’environnement et dans l’optique de lutte contre le réchauffement climatique, il ne faut jamais oublier que les agriculteurs sont le trait d’union entre l’homme et la nature. Car l’on exploite cette même nature afin qu’elle joue son rôle : captation du CO2, équilibre de la biodiversité, etc. Sans nous, comment pourrait-on imaginer nos paysages ? Nos terrains ? Si nous disparaissons, le désastre écologique n’en sera qu’amplifié avec l’accélération du commerce international et des importations sur notre sol, etc. Encore une fois, nous ne sommes pas fermés à l’idée de faire évoluer nos pratiques, mais nous voulons être entendus pour que l’on reparte sur de bonnes bases.

 

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Crédit photo : ©Croquant